Principes
Le droit des contrats belge, comme celui de ses voisins, opère une distinction fondamentale entre les obligations de résultat et les obligations de moyens.
Dans le livre 5 du Nouveau Code Civil ("NCC"), adopté le 21 avril 2022, ces obligations sont définies selon à la vision adoptée depuis longtemps par la jurisprudence. Le NCC n'a donc pas modifié les principes applicables.
En plus de ces catégories, il peut y avoir une obligation de garantie. Cette obligation n'est pas incluse dans le NCC en tant que tel, mais elle est mentionnée dans le projet de loi, où elle est appelée une variante de l'obligation de résultat. (Exposé des motifs, Chambre St. du Parlement, 2020-2021, DOC n° 55, 1806/001, p. 83, sous l'article 5.72.)
L'obligation de garantie est une forme renforcée de l'obligation de résultat. Le débiteur d'une garantie se porte garant de l'exécution de l'engagement en toutes circonstances, y compris les situations de force majeure. Le débiteur assume ainsi un risque conscient, qui n'est pas toujours sous son contrôle.
Dans la suite de ce texte, nous partirons de l'hypothèse qu'un prestataire de services informatiques a pris certains engagements qui peuvent être considérés comme des obligations de résultat ou de moyens, et que le client peut le tenir pour responsable en cas de respect (prétendument) inapproprié ou tardif (appelé "demeure" dans le NCC). Après tout, le prestataire de services informatiques est tenu d'exécuter ses tâches correctement et en temps convenu.
Il convient de noter que toutes les obligations incombant aux parties doivent être appréciées individuellement, isolément, comme une obligation de résultat ou une obligation de moyens. Il ne s'agit pas d'un unique engagement global évalué de cette manière.
Cela n'empêche pas les contrats ou les conditions générales de stipuler souvent que "toutes les obligations" d'une partie doivent être considérées comme des obligations de moyens ou de résultat, éventuellement avec la réserve "sauf convention contraire expresse pour des obligations spécifiques".
Comme indiqué précédemment, la distinction entre les deux catégories d'obligations détermine quand il y a une faute contractuelle et détermine également la charge de la preuve d'une faute contractuelle, par exemple lorsque le client prétend qu'une obligation n'a pas été remplie correctement ou tardivement.
Lorsqu'il existe une obligation de résultat, le prestataire de services est tenu d'atteindre un résultat spécifique. C'est un mode de contractualisation approprié lorsqu'il existe une mission suffisamment claire, qui peut être évaluée en détail et qui n'est pas trop complexe ou expérimentale. Le prestataire de services peut alors évaluer correctement le résultat à obtenir et il a l'accomplissement de la tâche principalement entre ses mains. En revanche, l'obligation de résultat n'est pas adaptée lorsque son exécution correcte dépend fortement de facteurs externes, tels que la coopération du client lui-même, ou lorsque le résultat demandé est encore trop abstrait et ne peut être rendu suffisamment concret qu'au cours d'un projet.
Lorsqu'il est tenu à une obligation de résultat, le prestataire est en principe ipsofacto en faute s'il ne peut pas atteindre le résultat convenu de son engagement, ou ne peut pas l'atteindre dans le délai convenu (milestone), sauf s'il peut prouver la force majeure. La question de savoir si le prestataire de services a tenté avec suffisamment de soin d'atteindre ce résultat ou ce délai n'est pas pertinente ici. Le client doit seulement prouver que le résultat promis n'a pas été atteint ou n'a pas été atteint à temps. Une présomption de faute s'applique alors, qui ne peut être renversée que par la preuve d'une situation de force majeure.
La force majeure signifie que l'obligation n'a pas été exécutée correctement ou à temps en raison d'une cause extérieure non imputable au prestataire de services. Il peut s'agir des situations classiques de force majeure telles que les catastrophes naturelles, la guerre, le boycott, les épidémies et autres, mais aussi de manquements du client lui-même ou de tiers dont le prestataire de services n'est pas responsable (à l'exception des sous-traitants). Lorsque le prestataire de services invoque la force majeure, il convient d'examiner s'il n'avait pas également le devoir d'anticiper préventivement certaines situations de force majeure. Par exemple, certains contrats informatiques exigent du prestataire de services qu'il intègre une protection contre les catastrophes, et/ou qu'il supervise les tiers impliqués, coordonne les actions du client, etc.
Si le prestataire de services ne promet pas strictement le résultat à atteindre, il y a une obligation de moyens. Le prestataire de services est alors tenu de faire tous les efforts "normalement requis" pour atteindre un certain résultat. La pierre de touche est le comportement d'un prestataire de services normalement prudent dans des circonstances similaires. Ainsi, le fait de ne pas atteindre le résultat escompté ne signifie pas que le prestataire de services est ipsofacto responsable d'une faute contractuelle. Le client doit prouver que le prestataire n'a pas agi comme un prestataire de services normalement prudent.
Le client devra donc prouver l'existence d'un manquement professionnel, ce qui, selon les circonstances, peut s'avérer très difficile, car le client ne dispose souvent pas des connaissances spécialisées et de l'expérience nécessaires pour évaluer les faits. En pratique, cette preuve se résume le plus souvent à une expertise amiable ou judiciaire dans laquelle un expert spécialisé est chargé d'apprécier les faits. Si, en raison de la nature des faits, le client n'est pas en mesure de fournir une preuve avec certitude, il peut suffire de fournir la preuve de la probabilité d'un fait (article 8.6 NCC). Exceptionnellement, le tribunal peut également renverser la charge de la preuve susmentionnée (art. 8.4 NCC). En tout état de cause, il est clair que le prestataire de services bénéficie d'un régime de preuve plus favorable lorsque le manquement allégué est apprécié dans le cadre d'une obligation de moyens que dans le cadre d'une obligation de résultat.
Dans le cadre des litiges relatifs aux contrats informatiques, la classification des obligations en tant qu'obligations de résultat ou de moyens fait régulièrement l'objet de discussions. En effet, cette classification peut avoir un impact décisif sur un litige. Il s'agit principalement de savoir si certaines tâches doivent être exécutées strictement dans un délai déterminé (milestone), ou si certains niveaux de service doivent être strictement respectés, seule la force majeure pouvant constituer une excuse légale.
Lorsque le juge est confronté à un litige dans lequel la nature d'une obligation doit être déterminée, il devra vérifier la volonté commune des parties en interprétant le contrat et/ou les faits. Plusieurs hypothèses sont envisageables.
Lorsque les parties fixent contractuellement la qualification, il reste curieux que ce soit une qualification juridique explicite que les parties ont donnée aux engagements, et il est possible qu'elles aient mal apprécié cette qualification juridique. Cela peut entraîner des problèmes lorsqu'une obligation très abstraite ou incertaine, ou très dépendante de tiers, est néanmoins définie explicitement comme une obligation de résultat. En principe, il est dit que la volonté explicite des parties est déterminante pour la qualification. (Cass. 3 mai 1984, Arr.Cass. 1983-84, 1147)
On pense parfois que le fait que les services soient effectués à un prix fixe ou en régie a un impact sur la qualification, mais cela est faux. Toutefois, le caractère vague ou abstrait des spécifications peut jouer un rôle dans l'évaluation. Lorsque certaines exigences sont encore vagues et seront complétées au cours du projet, on parlera plutôt d'une obligation de moyens. En l'absence d'exigences suffisamment précises, aucun résultat spécifique ne peut être garanti. A l'inverse, lorsque les exigences sont fixées de manière stricte et détaillée, cela peut être une indication d'une obligation de résultat, mais d'autres facteurs, tels qu'une forte dépendance vis-à-vis de tiers, doivent être pris en compte.
Les sanctions que les parties ont prévues en cas de non-respect de certains engagements peuvent également constituer une indication de la qualification de ces engagements. Si les parties ont inclus des clauses pénales en cas de dépassement des étapesd'unprojet, cela peut indiquer une obligation de résultat. Dans le même sens, l'application de créditsen cas de non-respect des niveaux de servicerequis par un SLA peut l'indiquer.
Un élément important pour évaluer la nature de l'engagement, surtout lorsque les parties n'ont donné aucune autre indication d'interprétation, est l'alea. Lorsque le résultat à atteindre dépend d'un élément aléatoire (substantiel), d'un élément d'incertitude (substantiel), il existeselon une opinion classiqueune obligation de moyens, car il est alors présumé qu'un prestataire de services ne chercherait pas à s'engager sur un résultat précis. (Liège, 31 mars 2015, DAOR 2016, 26 ; Comm.Bruxelles, 18 fév. 1980, RDC 1980, 377.)
Par exemple, l'exécution d'un engagement peut dépendre des actions de certains tiers qui doivent coopérer en temps voulu, ou de produits tiers avec lesquels le résultat de l'engagement doit être intégré. Si ces tiers ne sont pas des sous-traitants du prestataire de services, ce dernier n'en est pas responsable. En outre, l'engagement du prestataire de services peut dépendre fortement de la coopération du client lui-même, qui doit coopérer en temps utile à l'avancement du projet, notamment en fournissant des informations en temps utile, en prenant des décisions, en effectuant des tests, etc.
Si, en revanche, le tribunal constate que le prestataire de services avait un résultat (largement) entre ses mains, sans risques extérieurs, le tribunal peut considérer qu'il s'agit d'une obligation de résultat. Cela peut être le cas pour des obligations simples qui comportent peu ou pas de risques, tant en termes des règles de l’art que d'impact éventuel de facteurs externes.
La question est alors de savoir dansquelle mesure l'absence de facteurs externes doit être prise en compte. Les engagements comporteront toujours un élément d'incertitude et dépendront toujours quelque part de l'attitude du client. Il est difficile de définir une règle générale à ce sujet. Une certitude absolue quant aux probabilités de succès du résultat promis n'est pas nécessaire pour parler d'une obligation de résultat. Plus l'exécution de l'engagement convenu est incertaine, plus il est probable qu'il soit considéré comme une obligation de moyens.
L'évaluation d'un manquement allégué peut devenir très difficile si une obligation est effectivement qualifiée, dans un contrat ou des conditions générales, d'obligation de résultat, mais qu'en réalité l'atteinte du résultat de l'obligation est très incertaine, par exemple si elle dépend fortement de la coopération du client lui-même ou de tiers. La qualification donnée dans le contrat est une qualification juridique, pas une qualification factuelle. Dans ce cas, les parties ont utilisé une formulation irréfléchie. Dans ce cas, il est toujours considéré que la volonté des parties reste le tout premier critère d'appréciation .
Le NCC précise que le juge ne peut requalifier une qualification donnée par les parties à leur contrat que si cette qualification est incompatible avec les termes du contrat ou avec des règles impératives ou d'ordre public (article 5.68 NCC). Cette règle concerne davantage la qualification d'un contrat dans son ensemble, qui peut être contraire à la réalité opérationnelle telle que reflétée dans certaines clauses du contrat, ce qui se produit souvent afin de contourner certaines règles juridiques. Néanmoins, il nous semble que cette disposition confirme également le pouvoir limité du tribunal pour requalifier les obligations. Si le juge ne procède pas à cette requalification, la seule issue pour le prestataire de services est d'invoquer la force majeure (cfr. supra).
Un Service Level Agreement ou "SLA", ou encore accord de niveau de service, est l'engagement de résultat par excellence dans le cadre des contrats informatiques. Un SLA comprend des engagements très précis et quantifiés (niveaux de service), qui sont constamment mesurés par rapport à des indicateurs. Les performances sont ensuite mesurées (généralement sur une base mensuelle) par rapport aux niveaux détaillés. Bien que cela simplifie quelque peu les choses, le credo du SLA stipule : "Si on ne peut pas le mesurer, on ne peut pas le sanctionner". Si un engagement quantifié ne peut être atteint, le prestataire de services commet une faute contractuelle. Il ne peut alors qu'invoquer la force majeure.
Les éléments aléatoires du service sont souvent déjà pris en compte lors de la définition des indicateurs des niveaux de service. Par exemple, dans de nombreux accords de niveau de service, une distinction est faite entre le temps de réponse promis et le temps de résolution.
Lorsqu'un incident survient dans le service informatique, le prestataire de services promet de fournir un feedback au client et de lancer le processus de résolution dans un délai déterminé. Le délai maximal est déterminé en fonction de l’urgence et de l'impact de l'incident en question. Ce temps de réponse est entièrement entre les mains du servicedesk du prestataire de services, et est presque toujours considéré comme une obligation de résultat. Le temps de résolution, c'est-à-dire le temps nécessaire pour résoudre l'incident et rétablir le service, peut être plus incertain, en fonction de la complexité de l'incident et de l'environnement dans lequel il se produit.
Lorsqu'il s'agit de processus compliqués, où les logiciels et/ou les systèmes peuvent être fortement dépendants d'autres logiciels ou systèmes, et/ou où différents environnements et différents acteurs sont impliqués, le diagnostic peut prendre plus de temps et le temps de résolution peut être difficile à promettre en chiffres généraux. Par conséquent, le délai de résolution est souvent qualifié explicitement d'obligation de moyens, ce qui implique que le prestataire de services doit agir avec soin et professionnalisme en ce qui concerne la résolution, et doit poursuivre les niveaux demandés de manière professionnelle, et ce en fonction de la gravité et de l'impact de l'incident. En outre, des hypothèses sont souvent incluses dans les Service Level Agreements, ce qui peut limiter l'élément aléatoire du service.
Enfin, il convient de noter que certains SLAs s'écartent de la philosophie de base mentionnée ci-dessus. Ainsi, il peut arriver que tous les engagements soient qualifiés d'obligations de moyens.
De plus en plus, les projets informatiques sont menés de manière "agile". Cela signifie qu'au début du projet, les exigences sont formulées de manière plutôt vague et abstraite, et qu'elles sont progressivement affinées et complétées par le prestataire de services et le client. Ceci est fait en supposant qu'il y aura une coopération intensive entre le prestataire et le client. Le résultat final ne peut être évalué dès le départ et est donc incertain. Outre l'imprécision et la nature dynamique, évolutive et flexible (voire même expérimentale) d'un projet, des facteurs externes (notamment l'attitude du client lui-même) peuvent influencer le résultat. De tels projets impliquent généralement que le prestataire de services soit lié par des obligations de moyens. Il doit s'efforcer d'obtenir le meilleur résultat possible dans les circonstances données, comme un bon professionnel.
Dans le contexte des projets agile, il est fortement recommandé de traiter (même partiellement) l'incertitude du résultat final au travers d'un arrangement approprié relatif à l'acceptation de ce qui est en train d'être réalisé. Dans de tels projets, il est donc préférable de modéliser autant que possible le cadre contractuel dans des termes concrets afin que la réalité opérationnelle soit correctement prise en compte. Lorsqu'un tel projet échoue et que les parties s'accusent mutuellement de manquements, le tribunal doit tenir compte de l'interaction qui a eu lieu entre les parties (ou qui n'a pas eu lieu comme prévu). Les facteurs qui ont empêché la bonne exécution des engagements peuvent alors être qualifiés de "force majeure".
Lorsque les parties rédigent des contrats informatiques, elles doivent toujours tenir suffisamment compte de la réalité opérationnelle et ne pas se limiter à des formules de style courant. Les rôles des parties, le degré de compétence du prestataire de services et du client, l'objectif et la clarté d'un projet, le caractère expérimental de l'activité, la dépendance à l'égard de facteurs externes, la flexibilité requise ou non dans le développement de solutions possibles, sont autant de facteurs qui doivent être pris en compte afin d’aboutir à un contrat réaliste. Ils influencent aussi fortement l'intensité des engagements des parties dans l'exécution du contrat.